Une autre nuit dans les 40èmes

Publié le par Isidore

 

On a eu du mal à partir. Crozet, on y serait bien resté. La tentation de l’hivernage. L’envie de passer du temps dans cet endroit où tout s’arrête. On est quel jour déjà ? Les contraintes sont d’abord celles que la nature impose. Et de ce côté-là, pas moyen d’être déçu.

Un matin tranquille et paisible, et puis en sortant de déjeuner, des rafales à 130 km/h. Regard souriant de l’autochtone. Qui a appris la marche face au vent et qui taille sa route sans souci. Le visiteur, même breton, est perplexe. Le vent, ici, ne fait pas beaucoup de bruit. Normal, il n’y a rien pour l’arrêter.

Le touriste finit par se lancer. Il recule. Puis baisse la tête, vise la manchottière, un peu à l’estime, un peu au hasard. La troupe d’aventuriers prend l’allure d’un peloton du tour de France. Pour les poids plume, il est recommandé, dans un premier temps, de se lester, un gars solide de chaque côté fera l’affaire. Et puis de toute façon, ça finit par s’arrêter. Et puis on s’y fait.

En revanche, les opérations de ravitaillement, les « OP » en langage taafien, sont ralenties. Sur la DZ de la base Alfred Faure, les équipes se succèdent et les slings n’arrivent pas. Trop de vent pour lancer les pales de l’hélicoptère. Trop de houle pour mettre la portière à l’eau. Tout le monde le sait ici. Ravitailler le bout du monde, c’est d’abord savoir composer avec les éléments. Aller vite sur le bateau quand une fenêtre météo s’ouvre. S’arrêter quand le vent ou l’état de la mer ne permettent plus de travailler en sécurité. Tout le monde se démène pour trouver des solutions, Patrice, l’OPEA est rivé à sa radio. Les marins vont de la manche à gas-oil aux colis, qu’il faut dépoter puisqu’on ne pourra pas les mettre sur la portière et que l’hélico a une limite de poids de 750 kg. Chaque minute est précieuse. À la passerelle, on surveille le moindre changement météo. À Crozet, tout le monde est sur le pont. À chaque arrivée de sling, les colis sont pointés et évacués vers leur destination finale : cuisine, chantier, labos... Et tout le monde met la main à la pâte pour vider les caisses et les renvoyer sur le bateau.

La météo ne s’améliore pas, l’OP va devoir être rallongée d’une journée. Un dîner tous ensemble, des rires et de la musique. Dehors, le vent austral souffle toujours mais à l’intérieur, il fait bon et on chante à tue-tête. Une parenthèse enchantée et un vrai moment de bonheur dans les 40èmes rugissants. Merci Crozet !

Et puis, il a fallu y retourner, sur le Marion. Avec dans nos bagages, dix de nos nouveaux copains crozétiens. Qui agitent les bras aux derniers coups de corne de brume, collés aux sabords tribords, la VHF à la main.

 

Le Marion fait route vers l’Est. On devrait passer la ligne des 50èmes dans quelques heures. La mer blanchit, les oiseaux nous suivent. Kerguelen, nous voilà.


Caroline Britz

 


 

100404 FL Kerguelen 1

"Ravitailler le bout du monde, c’est d’abord savoir composer avec les éléments."

 


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W
<br /> <br /> Passionnant!!! Vous êtes peut-être déjà arrivés à Kerguelen. Je vous embrasse depuis le Far West français et vous souhaite beaucoup de bonheur dans cette dernière étape australe!<br /> <br /> <br /> Wassan<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
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I
<br /> <br /> Salut Wassan,<br /> <br /> <br /> Salut Wassan<br /> <br /> <br /> En fait, Manu, François et Caroline sont arrivés depuis plusieurs jours sur les îles Kerguelen et sont arrivés sur l'île d'Amsterdam. Ils se connectent rarement (faible débit et priorité aux<br /> chercheurs des bases) et ensuite m'envoient textes, photos et dessins par bribes. Ensuite, je tente de remettre le tout dans l'odre sur ce blog. La suite dans les prochains jours.<br /> <br /> <br /> JM<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />